Enfant, je ne marchais pas beaucoup. Mais mon vélo me faisait découvrir d’autres environs. Pourtant, à pied et panier à bout de bras, j’allais cueillir des champignons et je crois me souvenir que ces moments matinaux me donnaient déjà l’envie de partir au-delà des forêts environnantes. Je découvrais des chemins et des sentiers, mes bottes mouillées de la rosée avec l’air frais des matins ouvraient à mes pensées l’envie d’aller voir ailleurs. Marcher n’était pas qu’un pas devant l’autre, cela devenait un rêve de liberté.
Littérature et rêveries
J’aimais lire le Club des Cinq dans la collection bibliothèque verte, Bob Morane, Champollion et l’Égypte, parce que nous allions en vacances, à côté de Valbonnais, son village natal. La grande Armée de Napoléon me fascinait ainsi que les millions de pas vers l’Est. Je vivais l’aventure au bout de la cour de la maison. Je rêvais aussi de lenteur, de hauteur, d’aventure multiple, conquérante et de découverte dans des pays lointains.
Le vieux dictionnaire Larousse fut un livre d’apprentissage avant l’encyclopédie Bordas. L’apprendre n’avait plus de limite sauf en mathématique et en allemand ! Le dernier des Mohicans sur la pile de mes livres de chevet succédait à Jules Verne et Jack London, Melville et Moby Dick.. Je lisais à la lampe de poche sous les draps, m’éveillant au matin difficilement et traînant les pieds vers le carcan de l’instituteur. Pourtant, en géographie, quand il accrochait sur le tableau les grandes cartes, j’avais deux calots attentifs aux montagnes, rivières et affluents, fleuves et océans, pays et contrées. Il me semblait alors que le trait un peu plus large des frontières n’était qu’une ligne imaginaire à mes longues approches pédestres. Je marchais un peu. Dans ma tête.
Je respirais dans les montagnes avec Frison Roche et je lus deux fois de suite Hillary vainquant l’Everest. Puis je découvris le monde des cartes et leur lecture, lors d’un cours de géo au collège. Les envies de méharée dans le désert avec Monod ou à pied avec Alexandra David Néel m’attiraient. J’avais la chance d’avoir des parents qui lisaient et qui recevaient la collection du Reader Digest, en simili cuir brun et écriture dorée. Et qui m’achetaient des livres en librairie où je rêvais de départs et de longue marche. C’est ainsi que je découvris Jacques Lacarrière et Chemin Faisant.
L’âge des motocyclettes avec des pépètes sur la selle freinèrent mes randonnées, mais je courais aussi, après un ballon. Je rêvassais aux sommets des montagnes, entre deux fournées dans la nuit du fournil où je faisais un apprentissage. Je me pris à imaginer un départ à pied, pour faire un compagnonnage et un tour de France par les massifs bordant les frontières. Gâteau basque et brioche de St-Genis, Glacier helvète des Diablerets, Macarons et Madeleines.
Je ne rêvais plus malgré un livre sur le Mont-Blanc. Alpes me voilà, béret de chasseur alpin et kaki. Marches, sac à dos, fusil et rangers. Ou ski, peau de phoques et sac à dos. Kaki, toujours. Montagne, marche et bivouac.
Littérature et mouvement
Je repris la lecture de Chemin Faisant, qui m’amena à Robert Louis Stevenson et son Voyage avec un âne dans les Cévennes. Je découvrais alors la littérature aventurière, descriptive et d’immersion dans la nature, de marche et de déplacement. Je redécouvris Frison-Roche dans ses expéditions sahariennes et l’Arctique qui me fascinait. Tout en lisant Paul-Émile Victor.
J’avais aimé Victor Hugo, j’allais découvrir le marcheur Hugo, flânant à la découverte du monde des hommes, de l’exil, du retour. Entamant le marche du deuil et des vers uniques des Contemplations : Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partirai.
Tout en apprenant qu’il faut avancer, parce que c’est le mouvement de la vie.
Je marchais dans les rayons des librairies, jusqu’à la rencontre avec un libraire, ayant compris le besoin de sens de mes lectures, et qui me fit découvrir Oasis interdites de Ella Maillart et Sur la Route de Jack Kerouac.
Pour la première fois, je préparai un sac et je partis. Droit devant dans les Vosges, du nord au sud, par les cabanes forestières, entre crêtes et vallées, suivant en partie le GR5. J’écrivis mes premiers textes, prenant le temps de l’introspection, quand le bivouac se fait nécessiter.
Voir au loin les lumières de la ville et s’éclairer juste ce qu’il faut pour lire, ce que j’avais emmené dans mon sac. La première traduction d’Un été dans la Sierra de John Muir. La beauté du monde me sautait au visage, les mots dansaient leur sarabande de description et je pris conscience que l’homme en marche n’est qu’un visiteur de passage.
Littérature pour écrire et marcher
La course à pied devenant difficile pour un genou délicat, douloureux et opéré, je testais encore ma résistance et ma ligne rouge par l’envie du dépassement de soi.
J’alternais alors des longues courses, trails et marathons, et des randonnées de plus en plus lointaines. Souvent au départ d’un lieu haut et de paix d’Alsace. Mes lectures oscillaient entre les découverte d’auteurs et d’aventuriers. Kessel, Conrad, Loti, St-Exupéry, De Monfreid, Chatwin, Kipling, Twain, Defoe, Dumas, Tazieff, Cousteau…
M’essayant même à quelques philosophes, dont je ne retenais que peu, m’endormant sur les pages, comprenant à demi-mot, puis fermant pour un temps livres et pensées, me formant à la contemplation des sentiers, plus qu’à la réflexion philosophique des Bergson (la conscience et la vie), Heidegger (Chemins qui ne mènent nulle part), Emerson (Nature),…
Les mots « littérature générale » devinrent aussi des portes s’ouvrant sur d’autres lectures. Romans et essais, historiques et quêtes, politiques et idées, en lisant La Bible, De Gaulle, Badinter… Le goût de la découverte revint avec Christiane Desroches-Noblecourt, décrivant son Égypte, ses pharaons, ses combats de sauvegarde face à Nasser.
Je me vis à nouveau sur le départ. Je devais partir marcher. Des chemins de sens, et pas toujours terrestres, alimentaient mes lectures. Les longues traversées avec Thor Heyerdahl et le Kon Tikki, Alain Bombard en naufragé solitaire, Gérard D’Aboville et l’Atlantique puis le Pacifique à la rame avec cette phrase jamais oubliée : « je n’ai pas vaincu le Pacifique, c’et lui qui m’a laissé passer. »
Si des femmes et des hommes marquèrent de leurs mots écrits ma formation générale, je ne partais plus marcher avec un livre. Je devenais par mes pieds effleurant le sol source de contemplation, cherchant par le menu le gain de poids, ouvrant le minuscule carnet à spirale et son stylo bille pour seul lien avec l’écrit. Je me mis à partir marcher en fonction de mon temps. Chemin de halage, de montagne, de forêt ou spirituel, ouvrant des possibles à chaque pas. Revenant sans revenir. Portant sac et tente pour découvrir encore plus ces chemins d’histoires et de rencontres.
J’aimais toujours les montagnes et le ravissement des sommets. J’avais pour habitude de laisser des traces de mon écriture sur de petits carnets de marche. Ainsi j’annotais mes pensées et autres situations. Lors d’un retour d’Équateur et de sommets volcaniques, je remis à mes compagnons de voyage, notre aventure manuscrite. Mes premiers mots lâchés à d’autres.
Ce qu’il se passa un matin, dans un rêve éveillé ou non, fut de l’ordre du long voyage. Je devais partir. J’en parlais alors et on me remis le livre de Paulo Coelho, Le pèlerin de Compostelle. J’avais lu Henri Vincenot, la Vouivre, Le pape des escargots, les Étoiles de Compostelle. Ce nom revenait depuis ma marche sur Vézelay et St-Jean-Pied-De-Port. Puis de Paris, tour St Jacques, à Chartres. Je lus alors des livres et essais traitant de ce sujet et encore peu à la mode !
Je devais prendre ce chemin. Et y retrouver la symbolique de l’homme en marche qui s’arrête pour contempler et écrire. Paradoxe de la lenteur et du temps. Cette première longue marche de 2400 kilomètres, depuis Strasbourg, m’entraîna quelques mois plus tard de l’autre côté de l’Atlantique.
Seules mes quelques lectures et les livres que j’avais emmenés furent alors des fenêtres ouvertes vers d’autres horizons que mon entreprise. Je m’évadais comme je le pouvais. Jean-Louis Étienne pour ses aventures polaires, Davis Lebreton pour Éloge de la marche, puis, Éloge des chemins et de la lenteur. La sortie en français du Wild de Cheryl Strayed puis la sortie du film animait en moi des envies d’horizons.
Littérature pour se reconstruire
Peut-être me suis-je oublié dans l’entreprise que j’avais fondé. Peut-être avais-je oublié le marcheur, mais aussi tant de choses que je ne faisais plus. Un burn-out doublé d’une myocardite eurent raison de moi.
Au repos et en lisant Bernard Ollivier et sa longue marche, j’eu le sentiment du déclenchement.
Ma tête fonctionnait au ralenti, j’étais épuisé. Pourtant je sentais que mes pieds, la seule partie du corps au contact avec le sol, avaient besoin de la terre, de chemins, de sentiers, de routes. Rester debout et mettre un pas devant l’autre afin de m’ouvrir un champ de possible et d’horizons fut ma solution.
Avant de partir, ma décision étant prise, je reçus d’un ami le livre de Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie. Je me rappelai les cabanes forestières des Vosges et mes premiers pas…
Je savais que marcher, geste banal du quotidien allait devenir autre chose qu’un simple exercice physique. Je devais m’affranchir des contraintes et m’aventurer, seul et à pied, ailleurs. Je décidai de revenir de Compostelle. Un jour et un pas à la fois. Mais surtout écrire mon quotidien. Sans fausse pudeur.
La marche devenait alors une introspection courageuse, en flânant, réfléchissant, admirant, contemplant, découvrant, rencontrant, écrivant…
Littérature personnelle
Mon retour fut simple. Sept mois plus tard. Franchissant la porte de mon entreprise, je repris tous les symptômes en pleine face. Comme si rien ne s’était passé. Je lus alors sur les traces que laisse le syndrome d’épuisement professionnel (Christina Maslach) et sur les chemins de la résilience professionnelle (Sabine Bataille). Mais aussi Sarah Marquis avec Sauvage par Nature ; Instincts ; Déserts d’altitude.
Mon carnet de marche était source de mots et de rencontres annotées, je relus également tous mes carnets d’avant. Une histoire se faisait jour. Sereine. Porteuse d’envie et d’espoir. De douleur et d’horizon nouveau.
Le Poids du Sac naquit en partie grâce à toutes les histoires racontées au bord des chemins. Ma vie prenait un autre virage. Je publiais en France et au Québec. Mes mots ne restaient plus dans des cahiers. L’écriture alimentait mon quotidien.
J’écrivais en voyage, en marche, en découverte de lieux. Ainsi les premiers mots d’une autre histoire se formèrent à un endroit improbable sur un carnet qui l’était tout autant.
Cet automne 2023, j’ai terminé un autre manuscrit qui deviendra livre. Mon deuxième.
*les écrivains et livres cités ne sont qu’une partie de mes lectures !