Écrire. Tout simplement écrire pour moi.
Uniquement.
C’est ainsi que je me souviens de mes premiers textes. Ceux de 6e au collège, alors que j’étais interne dans une institution religieuse privée. L’écriture fut échappatoire à la morosité, à la rigueur enseignante, au dogme enseigné. Je m’enfuyais par les mots couchés sur des cahiers Constellation lignés, avec un buvard glissé entre les pages !
J’étais passé de la plume Sergent-Major trempée dans l’encrier en céramique blanche de l’école primaire à un stylo plume Parker que je vénérais et protégeais. Celui que mes parents avaient acheté après quelques économies, et je le reçu après bien des rêveries devant la boîte avec l’objet, en vitrine de la librairie-papeterie !
Écrire fut une joie non communicante. Je gardais pour moi ces textes sur tout et rien. De la balade dans un square au printemps, à la traversée de la ville au petit matin, le mercredi, pour aller faire du sport. Mais aussi ce moment particulier de l’interne qui retourne à son dortoir le dimanche soir.
Oh combien de dimanches avec la boule au ventre, le sac de vêtements plié par maman, l’autre sac de cahiers plus aléatoire. J’écrivais cette période avec la délectation de ma non-envie. Les cours me barbaient, sauf le français, l’histoire et la géographie. J’avais de bonnes notes dans ces matières qui rattrapaient toutes les autres.
J’étais si nul en maths que cela devenait pathétique de voir la feuille du devoir revenir annotée de phrases sibyllines et sans encouragements, tel que « nul » ; « n’a rien compris » ; « pauvre France ! » oui vous lisez bien !
Et je crois vraiment que la pauvreté de cette prose professorale me poussa à alimenter encore plus mes textes de français, car j’aimais les mots. Et je me souviens de ces heures interminables du temps d’études, attendant le repas du soir, où je feuilletais le dictionnaire Larousse, allant de mot en mot, lisant les définitions qui me renvoyaient vers d’autres pages.
Et puis, enfin, je changeais de collège. Dans le bus, je rêvassais derrière la vitre aux paysages d’aventures possibles. Mes matières de prédilections restaient les mêmes et j’écrivais toujours… sauf que ma prof de français ne m’aimait pas et encore moins mon écriture, mes textes et mes devoirs !
Parce qu’à cet âge-là et à cette époque-là, il ne pouvait y avoir de rébellion, je subissais et me réfugiais dans la lecture de ceux qui écrivaient leurs aventures, leurs expéditions, leurs réussites et leurs difficultés. J’apprenais de leurs mots, de leurs envies. Je faisais partie des cordées, des méharées, des découvertes. J’avalais les mots et j’ouvrais tous mes sens. Des phrases se construisaient dans ma tête. Je rêvais. Mes notes chutaient.
Écrire restait mon jardin secret. Mon Parker, un ami qui se lovait entre mes doigts pour mieux s’émanciper et s’agiter du bleu de la cartouche. Que sont devenus mes carnets, mes cahiers ? Cela reste un grand mystère, mais deux déménagements presque coup sur coup eurent, je le crois, raison d’eux !
Sans oublier d’écrire, j’envoyais des lettres. Je prenais plaisir à faire glisser les mots sur des feuilles blanches quelques fois gaufrées légèrement, de ces papiers à lettres d’antan. Une adresse sur l’enveloppe, un timbre, un expéditeur, je cachetais et j’envoyais. Ces échanges, bien entendu amoureux de l’adolescence, quand oser se dit en bleu, restent de formidables moments complices, tendres et uniques… mais celles à qui j’écrivais ne répondaient pas toujours…
J’ai toujours aimé le crissement de la plume sur la feuille choisie et je n’ai jamais arrêté d’écrire à la plume. Sauf en randonnée lointaine où je prends un simple stylo pour ne pas oublier un instant, un lieu, une rencontre. Au retour, en relisant, reviennent tous ces moments que je décris de mémoire, ajoutant des descriptions fidèles et ajoutant des ressentis revenus.
Ainsi la description de mes premières courses, mes premiers raids, mes premières ascensions, tous partagés. Je laissais alors la narration de nos aventures, précisant telle ou telle chose, ajoutant les sourires et les anecdotes. Ces textes existent encore et font partie de ce lien amical indéfectible et des mots qui restent.
J’ai toujours voulu écrire une histoire, un roman. Mes amis proches m’ont poussé à le faire. Je n’ai jamais osé. Je ne me sentais pas à la hauteur de ceux que je lisais, encore moins à leur cheville… Pourtant je restais souvent déçu de certaines fins, de certaines narrations…
J’apprenais en lisant. Mais j’autodétruisais mes velléités d’écrire pour publier. Combien de débuts de manuscrits sont ainsi partis à la déchiqueteuse de mes deux mains rageuses. Ces instants où l’histoire écrite depuis plusieurs semaines finissait dans la poubelle du lundi matin !
Je n’osais pas aller plus loin, mais quelquefois je m’autorisais à en faire lecture à des oreilles attentives et souvent favorables, mais là encore, je n’y croyais pas.
En fait je ne faisais confiance ni à ma plume ni à moi.
Puis un jour, tout changea.
J’écrivais un début de mémoire de sciences humaines sur la Quête de soi, et je marchais pour me mettre en situation. Tout en souriant à l’horizon découvert.
Des histoires racontées sur les bords de mes chemins devenaient matière à écrire. J’avais des notes, des carnets de notes de marcheur. Vivant dans la contemplation et l’émerveillement. Une histoire se faisait jour. Je souriais à la suite.
Et ce fut la rencontre avec celle qui me fit traverser l’Atlantique pour y vivre et ouvrir une boulangerie. Là-bas, au presque bout de la route. Je rangeais sans questionnement, mon carnet et mes notes, mettant de côté mon envie de publier, pour écrire une autre page de ma vie personnelle.
J’écrivais des recettes, des façons de faire, j’annotais des apprentissages pour un métier en évolution, participant à la rédaction d’un livret de formation. Ma prose devenait professionnelle, et cette pause longue me fit ranger mon Parker pour un ordinateur.
Bien des années plus tard, une myocardite doublée d’un burnout me poussa à me sauver en reprenant ma marche en avant pour me soigner. Un carnet noir glissé dans mon sac à dos avec comme titre à l’encre blanche indélébile : Enfin la liberté !
Je retrouvais le pas, les notes quotidiennes et descriptives. Sur mes nombreux chemins, je rencontrais d’autres hommes et femmes, m’ouvrant à un quotidien merveilleux. Et j’eus un matin, cette réflexion en me voyant dans le miroir d’une vitrine : « et moi, le Poids du sac ? »
Plusieurs mois plus tard, ayant retrouvé ma confiance perdue et oubliée, je mis un point final à un manuscrit. Écrit à la plume !
Ce manuscrit ne fut pas jeté, mais relu et corrigé par un groupe de lecture, qui m’encouragea à publier. J’eus des encouragements, des mots forts, des précisions sur mon style et la découverte du monde de l’édition.
Mon premier roman, Le Poids du Sac, fut ainsi édité au Québec, auto-édité en France et distribué en Belgique. Mon livre en main pour la première fois fut une révélation. Je recevais aussi des mots de lecteurs, écrivais et signais des dédicaces. Il devint aussi un support à mes conférences et je sus que toutes les années passées m’avaient guidée vers ce livre.
C’est ainsi qu’en osant publier, en laissant aller les mots, je suis devenu écrivain pour la suite de ma vie avec d’autres histoires à écrire.
Et mon deuxième livre est en marche. Comme moi.