«Et il n’est rien de plus beau que l’instant qui précède le voyage, l’instant où l’horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses.» Milan Kundera
En voyageant à pied sur des chemins aléatoires quelques fois, il m’a souvent semblé entrer en communion avec mes ressentis profonds, ceux qui arrivent au moment d’un lieu.
Sentir son corps, son cœur, sa tête en parfaite harmonie avec l’endroit, ressentir une paix intérieure et faire complètement partie de l’instant est un moment unique.
Ainsi, l’ancienne tour émergeant de la brume, alors que la forêt traversée semblait ne plus finir, me procura non un soulagement d’être sur le bon chemin, mais une paix inconnue et véritablement porteuse d’autre chose.
Il y a eu un avant et un après de cet instant. Comme si tous mes pas se réunissaient en une station debout immobile et ouverte à la connexion du temps.
Pas celui qui passe, celui infiniment présent de l’instant, de la fraction de l’instant.
Avant, il y a très longtemps, je marchais pour marcher, avaler des kilomètres et repousser les horizons découverts. Là, à cet endroit, je pris conscience de ce moment unique, temps présent infime entre deux battements de cœur, signalant l’imperceptible.
Il me fut même difficile de me mouvoir ensuite, tant le bouleversement de ce qui m’arrivait entrechoquait mes neurones, mes pensées, mes sons et mon souffle.
L’expliquer ou l’écrire relève d’une tentative vouée à l’impasse, tant cette infinitésimale fraction de seconde réunissait, il me semble, un TOUT impossible à expliquer.
Dans les jours qui suivirent, je recherchais ce moment. Privilégiant l’écoute, le pas mesuré, le souffle apaisé, essayant de retrouver, dans une quête unique, ce moment. Il ne revint pas. Je rentrais chez moi, me demandant même si je ne n’avais pas rêvé. Pourtant…
Le moment identique me prit un jour de chemin non prévu, indiqué par l’ami du hasard, et raccourcissant un peu la suite de ma journée. Je longeais la rivière, remontant son cours, alternant petit passage abrupte et dominant l’eau avec quelques tunnels creusés dans la roche ajoutant au mystère du sentier. Un son venu d’un saule, probablement un oiseau, attira mon regard vers le clapotis lumineux qui en un instant se changea en imperceptible communion naturelle avec le TOUT de cet endroit.
Je faisais une nouvelle fois partie de la magie d’une fraction de temps, comme ci le moment m’attendait pour me le faire vivre. En un clignement d’œil, l’instant était passé. Communion avec le temps, osmose avec la terre porteuse, source d’ondes particulières, mes pensées vagabondaient, faisant et défaisant les pas et les attitudes d’avant.
Avais-je déjà vécu ces instants avant ? Comme cette pensée qui vient dire, j’ai déjà vécu ce moment !
Les explications des uns et des autres, à qui j’en ai déjà parlé, ne m’ont guère guidé… réel ou merveilleux… pourquoi pas, après tout ! Chaque chemin doit receler, pour tout un tas de raisons, des particularités… Chapelle isolée, arbre tordu au milieu d’arbres droits, pré sans trace de passage, lieu de longue solitude, traversée désertique, cairns millénaires, sentier s’échappant dans une forêt dense et sombre…
Ces moments rares arrivent. Il faut entendre son environnement.
Ce matin, sortant de ma tente, je découvre mon lieu de passage et je souris. D’autres horizons s’ouvrent encore. Mes yeux se portent au loin. Nul doute que ma quête du temps ne fait que commencer pleine de promesses d’autres lieux pour revivre l’instant de ce TOUT qui reviendra.
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Immobile ou en marche, faire partie du Tout dans l’immensité des steppes ou des déserts, des montagnes ou même des foules… est proche, selon mon expérience, du sentiment de compassion face à une personne exprimant sa souffrante à demi-mots ou paisible dans son silence intense en fin de vie.
Merci de ce commentaire chargé d’expériences et de regards vers l’autre et vers soi.