Marcher est une activité naturelle depuis que nous nous sommes redressés et que nous tenons sur nos jambes. Le formidable déséquilibre de la marche est la suspension entre le moment où le pied se lève pour, de suite, poser le deuxième. Ainsi à cet instant présent, et sans même y penser nous nous faisons confiance.
Cet état du marcheur, je m’en suis rendu compte lors de ma première longue randonnée alors que je rejoignais Vézelay par des chemins aléatoires, depuis mon lieu de départ habituel. Je venais de me retenir à une branche basse, car j’avais glissé. En repartant, je pris la mesure de mon pas. Un pied puis un autre. En éloge de la lenteur du mouvement, je recommençais à poser un pied et à relever l’autre. Ainsi je découvrais le déséquilibre, la confiance et l’instant.
Heureuse coïncidence que la marche !
Plusieurs autres fois, je pris le temps de revoir le mouvement. J’ai souvent imaginé les mots de ceux qui, en me voyant passer, m’ont vu renouveler le geste lent du pas et en sourire. Simplet. Farfelu. Original. Quand je ne sautillais pas pour en refaire un et voir automatiquement mon autre pied revenir se poser. Prenant ces quelques 350 premiers kilomètres (environ…), pour le laboratoire de l’apprenti marcheur qui découvre la confiance en son pas.
À chacune de mes randonnées, quelle que soit la distance, il y a forcément un moment où je regarde mes pas qui me donnent confiance, au chemin, au sentier, à la marche, à mon instinct. Ainsi des millions de pas plus tard, ils ne m’ont pas déçu. Me portant, me conduisant, me permettant la découverte d’autres possibles, d’autres projets, d’autres longues randonnées.
Et puis quand c’est le moment, je pars. Ma tête pense à mon sac à dos et à tout le reste, aux lieux envisagés, mes pieds me supportent, mes pas me portent. Et me conduisent. J’ai fait du déséquilibre compris, un équilibre convenu.
La confiance en mon pas et mon instinct de marcheur au long cours, l’aléatoire des rencontres et des chemins, la vie découverte au détour d’une clairière, l’inattendu bivouac heureux, l’imprégnation de ma semelle dans la nature traversée, tout me pousse et m’enjoint de recommencer à découvrir. Toujours ailleurs.
Mon pas, sur les pavés de ma ville, déclenche le même ressenti corporel, la même confiance en l’instant, pour une vibration de semelle différente. Au détour de la rue, je vois les crêtes ou la forêt, tout un monde de possibles et de nouveau départ. Et mes pas résonnent sur les murs en écho de mes envies.
Quel que soit le lieu, le chemin, mon temps de marche n’a que peu d’importance tant le plaisir se lit sur mon visage. Mes yeux s’alignent sur l’horizon découvert ou à découvrir, mon corps réagit à la sensibilité de la semelle et au poids des bretelles du sac sur les épaules. Mon cœur s’agite et se calme en fonction du relief, mon souffle entame un aller-retour régulier entre diastole et systole.
Je vis pour le prochain départ et les prochains pas en déséquilibre.
Toujours confiant du pas suivant.