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Go Papa !

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Il y a dix ans, sous le soleil vibrant de Cuba, le photographe a saisi cet instant.
Pour vous, peut-être que c’est un cliché, mais pour moi, c’est toute une histoire d’amour.

Ce soir-là, après cette journée magique, j’étais assis en face de mon fils, Émile, un garçon de neuf ans et demi, encore empreint de cette innocence qui éclaire le monde d’un regard. Au restaurant, je portais un poids immense, une décision en moi comme une mer en tempête. J’avais choisi de partir, de marcher, de me sauver.

L’entreprise dont j’étais propriétaire et dans laquelle je m’étais tant investi m’écrasait, me broyait. J’étouffais sous le poids d’une vie qui n’était plus la mienne, jusqu’à sentir mon propre corps lâcher. Épuisement. Un cœur qui vacille. Un début de myocardite. Il était temps.

Mais comment dire à son enfant qu’on s’en va ?

À table, entre deux silences et quelques larmes mal retenues, j’ai enfin osé parler. Les mots hésitants, lourds. J’ai expliqué mon besoin de partir, de me retrouver, de suivre un chemin pour mieux revenir. Compostelle, en Espagne, une terre lointaine depuis notre ville au Québec d’alors. Un pèlerinage non pas religieux, mais viscéral.

Émile aurait pu être inquiet. Il aurait pu me juger. Il aurait pu pleurer.
Mais son regard s’est illuminé d’une curiosité inattendue. Ce n’est pas la peur qu’il m’a renvoyée, mais des questions simples et essentielles :
— Comment tu vas manger là-bas, papa ? Où vas-tu dormir ?

J’ai souri malgré moi. Alors, je lui ai parlé de la tente, des gamelles, des refuges et des étoiles. Du chemin sous mes pas, du silence qui guérit. De ce retour qui aurait un sens.

Puis, sans prévenir, il s’est levé, a contourné la table et, dans un geste qui restera gravé en moi à jamais, il m’a pris dans ses petits bras. Et dans un souffle, il m’a dit :
— Go, Papa.

C’était tout. Deux mots qui contenaient tout l’amour et toute la compréhension du monde. Deux mots pour me dire qu’il savait. Qu’il m’aimait assez pour me laisser partir.

Quelques jours plus tard, face à la cathédrale de Compostelle, j’ai fait mon premier pas. Celui d’une autre vie. Celui d’un retour à moi-même.
Et tout a changé. Un jour et un pas à la fois.

Chaque kilomètre est devenu une libération, chaque aube sur le chemin une nouvelle naissance. Les rencontres avec d’autres pèlerins, les échanges dans un mélange de langues et de cultures, tout cela a tissé la trame d’une rédemption personnelle.

Les paysages changeants, des champs verdoyants aux sommets enneigés des Pyrénées, reflétaient les hauts et les bas de mon propre voyage intérieur. Chaque nuit passée sous les étoiles, chaque repas partagé avec des inconnus devenus compagnons de route que je croisais, renforçait ma conviction que ce pèlerinage était bien plus qu’une simple marche physique.

C’était une purification de l’âme, un retour aux sources de ma propre vérité.

Sur ce chemin millénaire, face aux autres dans ce sens choisi, j’ai appris à écouter le silence et à me confronter à mes peurs les plus profondes. Les jours se sont transformés en semaines, et chaque étape m’a rapproché un peu plus de la clarté que je cherchais.

À chaque village traversé, à chaque chapelle solitaire, je sentais les poids accumulés se dissoudre lentement. Mes pensées se sont clarifiées, ma vision de l’avenir s’est affinée. Le chemin était rude, mais chaque défi surmonté renforçait ma détermination.

Un pas à la fois j’ai su que mon chemin devenait un début d’autre chose. Et j’allais prendre le temps de sa découverte.

En entendant souvent ce Go Papa ! Qui me donnait la force de revenir.

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