articles

Rencontre hors chemin balisé

Partager cet article

Il y a des chemins que l’on prend, alors que peu de gens les connaissent. Ils sont des sentiers perdus, un bout de chemin forestier défoncé par le temps, de minuscules traces empruntées par celui qui sait, des traits inconnus dans des paysages, des sentes animalières devenues des passages aléatoires non balisés, des pointillés particuliers qui font une histoire imprévue…

La dame ouvrant le rideau de la boulangerie ce matin, ayant la jasette facile, m’indiqua en me vendant son pain, un sentier contournant le bourg froid et humide, afin de me faire gagner du temps, me précisa-t-elle !

Avais-je envie de gagner du temps alors que je le prenais ?

Suivant les explications, de ces mains agitées sur le trottoir devant la vitrine, je suivis alors un bout de sentier entre des murets de pierre du lotissement, tournant de gauche et de droite, suivant la trace mouillée de quelques pas matinaux, forçant mon regard au-delà du bourg, à deviner un semblant de sentier, retrouvant un chemin isolé, contournant un bosquet et arrivant face à une prairie fermée de barbelées.

Attentif à l’endroit, je vis des herbes légèrement couchées, le long de la clôture. Marchant dans une herbe plus haute, je longeais la ligne de fils de fer, pour aboutir à un chemin de terre menant droit sur une ferme isolée. Le chien des lieux a eu tôt fait d’aboyer l’inconnu se présentant face au portail ouvert. Crocs en avant, il s’approcha, imaginant mon mollet moelleux, avant qu’un « Pilou au pied » surgisse de la grange.

Béret vissé sur la calvitie, veste bleue des campagnes, pantalon de velours marron, il apparut souriant. Un bonjour de ma part, une réponse identique suivie d’un « perdu ? » firent laconiquement les présentations.

En quelques minutes j’étais à la cuisine, attablé, café fumant dans un bol en pyrex racontant mon aventure boulangère du matin. Il me raconta sa vie en attendant son fils. Lui, le vieux Gustave, gnôle à portée de main, attendait le pain et les courses, que le fils, André, apporterait. Plus de bêtes, hormis quelques poules et lapins, un potager, une vie solitaire depuis la mort de sa femme. Tranches de vie partagées tout au long de ces chemins non balisés.

Je m’étais perdu après le lotissement en entrant dans la forêt. Ensuite, le sentier m’avait conduit ici. Une voiture arriva, André entra, me salua. Il avait le sourire facile à mon histoire recommencée, plaisanta sur la boulangère et commenta mon chemin suivi depuis mon départ, quelques semaines plus tôt.

Place nette fut faite sur la toile cirée de la table, j’ouvris la carte qu’il pointa du doigt rapidement me montrant le chemin que j’aurais dû suivre au sortir du bourg et où se situait la ferme. Intéressés par ma longue marche, le père et le fils eurent tôt fait d’organiser ma soirée ici. Le téléphone en Bakélite noir sonna, André expliqua à sa femme son retard, resta partager le vin, la soupe et le bouilli, fromage et pain, mots et histoires, entre la guerre de Gustave et le service militaire des trois. La nuit était là depuis longtemps quand la voiture retraversa la cour pour reprendre le chemin vers le bourg. La chambre et le lit confortable accueillirent mon corps et les quelques kilomètres du jour. Le vin aidant, je ne tardais pas à m’endormir.

Le coq sut très tôt que je devais repartir. Gustave faisait le café tout en se rasant devant l’évier, regardant son reflet dans un miroir, mitoyen de l’attrape-mouche jaune et torsadé. Sur le buffet encombré, il prit une photo de sa femme et me présenta celle qui avait partagé longuement sa vie.

Rassasié par des tartines et du café, sac sur le dos, bâton en main, regard pointé vers l’autre côté de la cour, ayant bien écouté les conseils pour retrouver mon chemin, je pris le temps de saluer et remercier Gustave. Ses mots du matin furent simples et pleins de bon sens sur la suite de mon périple. « Fais confiance en ton pas » me glissa-t-il en guise d’au revoir et demandant toutefois de lui envoyer une carte postale si j’arrivais à destination…

La poignée de main fut longue et forte. Le chemin m’éloignait et en me retournant, je lui adressais un signe qu’il me rendit, béret à bout de bras.

Cette tranche de vie d’une étape d’un de mes longs chemins est toujours restée en ma mémoire.

Un jour, André m’a écrit une lettre pour me dire que Gustave était décédé. Qu’il avait quelquefois reparlé de moi. Il y avait une photo dans l’enveloppe.

L’évier de la cuisine devant la fenêtre, l’attrape-mouche jaune et torsadé, et, à côté du miroir, ma carte postale punaisée.

A lire également…

2 Commentaires. En écrire un nouveau

  • Un très beau texte. Merci du partage

    Répondre
    • Philippe M
      17 avril 2023 14:43

      Et, il y aura toujours en ma mémoire l’au revoir de Gustave, devant sa ferme, le béret au bout de son bras agité, pour un dernier « fais confiance en ton pas ».
      Merci à vous de me lire.

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous devez remplir ce champ
Vous devez remplir ce champ
Veuillez saisir une adresse e-mail valide.
Vous devez accepter les conditions pour continuer