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Un chemin dans les deux sens

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J’ai toujours aimé marcher.

Chaque pas est un mouvement vers l’avant. Marcher c’est avancer. Marcher, c’est croire en soi, en ses possibilités. Marcher, c’est mettre un pas devant l’autre et vivre chaque instant. Marcher, c’est se faire confiance. De petites distances en plus longues, la marche est aussi devenue au fil du temps un moyen de réflexion et de prise de temps.

En 1998, je vivais alors en France,  je suis parti seul mais avec une coquille sur le dos, du Mont-Ste-Odile, proche de Strasbourg, avec carte et boussole, sac à dos, tente et gamelle, pour rejoindre le Puy-en-Velay. Laissant la vierge noire derrière moi, je pris le GR65 jusqu’à St-Jean-Pied-de-Port, puis à Puente la Reina, le Camino Frances, assez peu fréquenté, pour arriver à Santiago. 2400km en 97 jours. Cette belle aventure m’entraîna alors au Québec, à Rouyn-Noranda où je vis depuis.

Au début de 2015, un épuisement professionnel m’oblige à prendre du recul. Cela fait longtemps que je ne marche plus. Pas le temps. Mon entreprise m’occupe depuis 14 ans. Je me retrouve allongé aux urgences face à un médecin qui me dit de me reposer… Il est temps pour moi de me choisir, de m’autoriser à partir et de retrouver le pas du marcheur. Mon fils de 9 ans et demi trouvera les mots pour me laisser partir.

Un avion de Montréal à Paris, puis un autre pour Compostelle.

J’ai décidé de revenir de Compostelle. De faire le chemin à l’envers. Voir dans les yeux de ceux que je croiserai les étoiles qui animent leurs jours. Moi je ne suis qu’une ombre…

Le 29 mars 2015, après avoir validé ma crédenciale auprès du bureau des pèlerins, je mets mes pas sur le chemin du retour, face aux autres, face à moi, dans une complexité ou toutes les symboliques m’interpellent. Sac à dos, tente et gamelle sont revenus. Je porte mes seuls biens. Au jour le jour et budget restreint.

Je ne sais pas où ces pas me mènent, je vis chaque instant et le plaisir de croiser des pèlerins forme mon quotidien. Je découvre un Camino Frances autrement, un balisage qui n’est pas de flèche jaune mais de rond bleu ou de collant rouge et blanc de la Jerusalem Way. Dans ce sens-là tout est différent. Y compris cette phrase magnifique d’une pèlerine :   ‘’ on peut en revenir ?’’

À St-Jean-Pied-de-Port, le monsieur du bureau sourit, très peu de marcheurs dans ce sens, me dit-il. Je prends la Voie du Piémont Pyrénéen puis la Via Tolosana qui m’emmène à Toulouse, Montpellier et Arles. 1600 km et des rencontres incroyables, des nuits de belles étoiles, la mesure du temps, la connaissance de soi… D’Arles je marche sur le GR653A, des Alpilles à l’Estérel en direction de Menton et la frontière italienne.  Je sais que je vais à Rome.

La Via della Costa, entre route et bord de mer, quelques péripéties dans les collines de la Ligurie, Gênes et sa traversée, les Cinq Terres, je rejoins la Via Francigena à Sarzana.

J’accompagne des pèlerins et marcheurs qui vont à Rome en traversant la Toscane par ses chemins blancs vers Lucca et Sienne, puis le Latium et Bolsena, enfin l’approche de Rome… la via Trionfale et Monte Mario. Puis la place St-Pierre. J’ai marché 2700 km.

Mais Rome me repousse. Trop de monde, trop de bruit. Il n’est pas encore temps de poser mon sac. Sortir de la ville n’est pas une évidence, je me perds et manque de me faire écraser. Je marche vers Rieti.

Et c’est la découverte des Apennins, du magnifique Chemin de St-François et les perles que sont La Romita, Spoleto, Spello et Assise puis La Verna. 400 km de paysages incroyables et de bivouacs solitaires. Je m’octroie quelques jours de repos en Toscane avant de reprendre ma marche en avant.

Depuis Lucca, sur la Via Francigena à l’envers, je remonte vers le nord de l’Italie, par Sarzana, le Passo della Cize, Piacenza, Pavia, Ivrea et tout le Val d’Aoste en regardant les Alpes devant moi.

L’ascension du Grand St-Bernard et ses presque 2500 m d’altitude, me sait autre. Différent et posé. Sûr de ma confiance retrouvée. Je sais que je vais retourner au Québec résolu d’autre chose. Le marcheur efface le chef d’entreprise épuisé. La marche si longtemps a guidé ma réflexion.

Me voilà en Suisse pour une traversée par St-Maurice, Aigle et les rives du Léman vers Lausanne, puis les monts du Jura et Ferreyres. Je remonte les gorges de l’Orbe et j’entre en France. Pontarlier, les rives de la Loue, Ornans, Mamirolle… j’atteins le Doubs et longe la piste cyclable E6 jusqu’à Montbéliard. Au pied du Lion de Belfort, je devine l’Alsace, ma région natale.

Elle s’ouvre à moi par le chemin du Piémont des Vosges, Thann et Colmar, puis Barr et le Mont Ste-Odile où je boucle ma boucle le 17 septembre 2015 après 172 jours de marche dans 4 pays traversés et 4500 km…

Je sais que ma vie ne sera plus jamais la même.

Aujourd’hui, devenu auteur et conférencier, passeur d’expériences, j’ai vendu ce qu’il me restait de mon entreprise et  je témoigne de mon parcours face à l’épuisement professionnel et sa prévention … mais aussi de la marche qui aura été ma solution pour revenir.

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2 Commentaires. En écrire un nouveau

  • Je suis sans voix, sans écriture !! Quelle passion formidable de se découvrir soi-même chose que j essaie de faire en partant marcher s évader apprendre à se connaître merci

    Répondre
    • Merci Mary Rose.
      Faire un pas et un autre.
      Tout dans la marche concourt à se découvrir. Vivant. Et libre.
      Surtout!
      Bien à vous.
      Philippe

      Répondre

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