Assis au bord d’un chemin, les pieds posés à côté des chaussures, je fais bouger mes orteils. Je suis vivant, je marche et mes pensées s’envolent.
J’avais assez couru. Mon genou droit récalcitrant et multi opéré n’en voulait plus.
Je savais au fond de moi que ce temps révolu ne reviendrai pas et que le dernier marathon était un souvenir heureux mais douloureux.
Alors je marche. Je pose un pied puis l’autre. L’équilibre alterne avec déséquilibre. Je ressens la terre, les cailloux, le sol changeant. Je me sens ancré. Là. Tout simplement là. Les chemins suivent des chemins.
Randonnées de quelques heures aux rando-bivouacs sur plusieurs jours, je suis en mouvement. Les collines alternent avec les plaines, chaque nouvel horizon m’ouvre aux pensées. Mes pieds suivent. Ou alors est-ce l’inverse ?
Je pense en marchant. Et cette expression me fait sourire tant la nouveauté est belle. Je pense en marchant. Tout est là. Et tout arrive, en flot continuel, en mots nouveaux, non écrits. Les mots s’envolent pour faire place à ceux qui viennent. Ma tête bourdonne au rythme du pas sur le chemin choisi. Je pense et j’oublie ce dialogue avec moi-même. Puis il revient. Ce qu’il en reste est une envie. L’écriture viendra poser les mots. Ces mots qui vont donner Le Poids du Sac et les manuscrits suivants.
Je pense et je marche. Mes pieds font remonter ce qu’il se passe dans mon corps. Du posé de semelle à la vibration du pas, de la tension du mollet à la contraction de la cuisse. Mon corps vers l’avant pour compenser le poids du sac, mon bâton suit le rythme et donne le tempo musical.
Dans ma tête, une suite logique de moments présents, de gratitude et de sens. J’aime ce que je ressens, ce qui monte de mes pieds, ce que je suis. Ce que je deviens.
J’apprivoise mon corps de marcheur. Les tensions disparaissent en quelques pas ou en quelques jours. Liaison parfaite entre le temps de marche et le poids du sac. Tout arrive à s’estomper et les mots apaisent les sempiternelles questions du doute. J’écoute mon cœur.
Je pense et je parle avec mes pieds. Ils savent le moment ou tout remonte vers la tête pour entamer ce dialogue magnifique du marcheur au long cours, du marcheur de la journée. Bien que les courtes distances ne m’amènent pas forcément le même type de dialogue. La boucle programmée n’est pas la même évasion que le chemin au long cours.
Le temps de marche amène de toute façon un dialogue qui se fait le plus souvent avec soi-même. La densité de l’échange est différente. Certains mots revenant ou s’effaçant. Vais-je les retrouver un jour ? Quelques fois oui.
Alors le dialogue reprend dès que les chaussures sont aux pieds, que les pieds m’entraînent et que les mots arrivent et posent le bien-être de l’homme en marche. Libre. Heureux.
En adéquation avec ce que je suis et ce que je ressens des mots qui montent de mes pieds, de mes chemins, de l’horizon.
J’entre en chemin. J’écoute le pas.