Un ami me posait la question sur son temps de marche. Il trouvait qu’il n’en faisait pas assez et se demandait quelle était la bonne distance à parcourir pour sa santé. Notamment les fameux 10 000 pas par jour recommandés à l’extérieur.
J’ai eu du mal à répondre sur le moment, car chacun doit respecter son envie, son rythme, sans compter son physique ou ses pathologies… Chacun de nous est différent !
Je me remémorais alors, avant de lui répondre, les deux mots avec lesquels j’ai commencé : bienfaits et plaisir. Et pour moi, les deux sont indissociables.
Mémoire de la marche
En lui expliquant mon propre parcours, je me suis bien entendu remémoré mes premiers pas, à l’extérieur, sur une piste cyclable d’une grande ville et tôt le matin, avec un objectif atteignable ! Faire une fois le tour du pâté de maisons.
D’une allure tranquille, pour commencer, comme une promenade, pour donner au corps l’envie de plus. Bienfaits du souffle et du physique en prenant le temps du pas pour mon métabolisme, j’alternais chaque jour mon départ, tantôt par la droite, tantôt par la gauche. Ainsi pas de routine, hormis le plaisir de ressentir mes pas.
Au bout d’une semaine, j’ouvris mon horizon vers une rue adjacente, faisant de ma routine habituelle une autre possibilité de découverte, et sentant mon corps en demander un peu plus. Je voyais bien qu’il s’adaptait et que les bienfaits ressentis, lus dans un livre, commençaient à développer un état de bien-être inconnu jusqu’alors. J’adoptais un pas tout en souplesse, afin de ne rien brusquer dans mon corps de fumeur qui venait d’arrêter.
Bienfaits ressentis
À mon travail, j’avais une meilleure perception des tâches et me rendait à l’évidence et en quelques jours, que ma respiration associée à cette pratique régulière me donnait une meilleure concentration. La question n’était pas de savoir s’il fallait en faire plus, mais de continuer en régularité, sur une distance atteignable et sans douleur. Chaque matin, ma journée devenait agréable et totalement en adéquation avec mes objectifs professionnels.
Multiopéré du genou droit, j’avais du mal avec la course à pied. L’impact au sol était devenu trop douloureux. Mon corps n’aimait plus ce martèlement, alors que la marche m’ouvrait à d’autres possibilités, qui devenaient de plus en plus lointaines et avec des distances supérieures à envisager. Cela m’intéressait et je me documentais sur les aspects physique et psychique en lien avec cette activité au quotidien, me déplaçant le plus possible sur mes pieds, délaissant le plus souvent possible mon véhicule.
Platon et Aristote enseignaient en marchant
Philosophes, écrivains, chercheurs et d’autres la pratiquait. Étaient-ce ainsi que les grandes idées sont apparues chez eux ? Comme un secret bien gardé ? La marche, comme vecteur de possibles ?
Me donner ce temps du pas, afin de me retrouver à l’extérieur pour respirer, pour découvrir, pour contempler me plaisait. J’ouvrais mes sens, profitant de tout ce que les multiples pas, apportaient à ma santé, à mon moral, à mon cerveau… en plus de m’oxygéner et de laisser venir les pensées, pour écrire, et augmenter ma créativité.
Créativité en marche
Je trouvais également le plaisir d’associer les mots qui me venaient en marchant. J’étendis ce plaisir à des randonnées en campagne, toujours en partant de chez moi. J’approchais des champs et des bosquets puis je revenais.
Enfin, je dépassais mes limites, pour faire des boucles de plus en plus longues. Et je ne marchais plus seul, j’emmenais un carnet de notes. Les mots, je les écrivais alors sur place. Je m’arrêtais pour écrire mes idées.
Je m’éloignais ainsi du quotidien, retrouvant mon essence première de l’aventurier de l’enfance, le découvreur de nouvelles contrées traçant à la machette mon sentier d’aventure. Je partais, dormant quelques fois dehors. Mon attention devenait plus ouverte vers autre chose, renforçant ma capacité de concentration sur mes écrits. Développant de nouvelles idées de textes, remplissant des carnets de notes et y puisant une nouvelle créativité.
« La marche est le meilleur remède pour l’homme », écrivait Hippocrate.
Lors de ma visite de contrôle pour mon genou, un an après une ligamentoplastie et quatrième opération, le chirurgien fut surpris des mesures musculaires au-dessus des genoux, avec peu de différences entre les deux jambes. La marche, qui aide, devint très vite sujette de notre discussion. Il me fit part de constats médicaux sur sa pratique régulière, comme une meilleure irrigation des organes et des muscles.
Il m’enjoignit de continuer à prendre soin de mes jambes, tout en me faisant un clin d’œil sur le bénéfice de la marche sur la respiration, l’oxygénation du cerveau, la diminution du stress, la baisse de la tension, l’amélioration de l’humeur, etc.
Plusieurs années plus tard, je le rencontrais lors d’une randonnée, il allait d’un bon pas devant moi, gravissant un sentier, a priori sans effort. Notre rencontre sur la crête nous permit de continuer sur le mode, « qu’importe, la durée et l’arrivée des podomètres en tout genre », la marche fait partie de l’essence de l’homme depuis qu’il s’est relevé.
Une amie, un peu philosophe, un peu cool, un peu tout à la fois, disait que mettre un pied devant l’autre, chaque jour et sur de bonnes distances, lui garantissait de rester jeune dans sa tête. Et précisait qu’elle était la meilleure énergie pour son corps et son activité primordiale pour rester en bonne santé. Elle n’arrêtait pas de prôner les joies et plaisirs des mouvements de ses jambes et de ses bras, et fut l’instigatrice de ma première randonnée sur plusieurs jours.
Chaussures de marche
Mon podologue, qui faisait mes semelles, rigolait de m’entendre parler de chaussures pour la randonnée. Sa devise était simple : une bonne chaussure est celle qui va bien à tes pieds. Sans douleur, sans frottements, sans pression sur le coup de pied, car le pied est contraint par les chaussures. Ne l’oublie pas, me disait-il !
Il me rappelait également qu’après une longue marche c’est bon de se mouvoir pieds nus. Il me fit sourire en me disant : « va sur le sentier proche de ta tente, pieds nus, laisse-toi caresser les plantes de pieds par le sable, les petits graviers, l’herbe… Qu’importe, mais marche pieds nus pour relaxer et laisser respirer tes petons ! »
Ne dis pas pourquoi tu marches, marcher est la réponse
Partit plusieurs jours, sac à dos, tente et gamelle, je me rendis compte rapidement combien je me sentais bien de découvrir autre chose à chaque pas. Mon tour de quartier et mes randonnées d’une journée étaient derrière moi. Je vivais autre chose, du projet et de l’organisation des bivouacs, du choix des sentiers et des destinations…
Le poids du sac fut en permanence un échange entre moi et moi, alors que mes chaussures me portaient. Pas de douleurs. Mon genou tenait. Ma tête allait bien et mon cerveau fonctionnait, j’oxygénais le tout en respirant profondément (j’appris la respiration… plus tard…) et en prenant mon temps.
Rien ne pressait. J’adaptais mon rythme à la presque ligne droite. Je revenais en transport. Pas de limites, pas de comptage, pas de kilomètres parcourus, je vivais mes pas. Et j’écrivais.
Créativité dans l’écriture
Je passais de celui qui écrit chez lui à celui qui écrit dehors. C’est particulier comme la marche associée à la nature environnante permet de se laisser aller à écrire. Et à permettre d’avoir des idées pour le récit. Je découvrais la non-angoisse de la page blanche. J’imaginais tous ceux ayant écrit leurs expériences de marcheurs vivre leurs mots et les voir publiés.
Lacarrière, Balzac, Emerson, Stevenson, Rimbaud, Thoreau, Muir, Rousseau, Gandhi, Monod, Hugo, Bergson, Heidegger, David-Néel, etc.
Pardon à tous ceux que j’ai oubliés, ayant vécu et marché, ou ceux, vivants qui marchent…
À mon niveau, c’est ainsi qu’est né Le Poids du Sac. Des rencontres que je n’aurais sûrement pas faites autrement, des écoutes sous les arbres de randonneurs en chemin, des échanges d’expériences, des bouts de cartes et de sentiers partagés, des mots sous les étoiles sur une page déjà bien noircie, des phrases écrites et non retouchées, des récits restés sans suites…
Puis un jour, lors d’une conférence que je donnais, je me suis fait dire par une personne du public, que mon déplacement associé aux photos qui défilaient sur l’écran captivait par sa souplesse et sa solidité réunie.
Je marchais même dans ma tête, associant ma créativité aux endroits traversés, ayant laissé une trace de mes pas, pour en écrire les mots et idées de récits…
Prochaine marche
Alors, me souvenant de tout cela, j’ai pu dire à mon ami de prendre son temps, de marcher à son rythme, de ne pas écouter ceux qui entraînent aux 10 000 pas par jour… D’avoir du plaisir à chaque pas, de ressentir le souffle, et, pourquoi pas, d’envisager une plus longue distance en fonction de son ressenti, et d’écouter son envie…
La marche ne se comptabilise pas. Elle se ressent. Quel que soit la distance quotidienne ou hebdomadaire…
Que son parcours à suivre est dans son questionnement et dans son plaisir de le réaliser. De ne pas se fixer de limite ou de s’en fixer, prendre son sac pour l’épicerie et y aller à pied, ouvrir les yeux sur ce qui l’entoure et respirer. Aller par tous les temps pour être en vie.
De décider d’aller vers le bout de la rue où au-dessus des nuages n’est qu’une question de volonté pour sa santé physique et morale. Un jour et un pas à la fois.
La vie nous entraîne vite vers la fin, marcher permet probablement de ralentir le processus, de regarder à l’extérieur, d’enfiler de bonnes chaussures, de poser un pied, puis l’autre et d’en ressentir tous les possibles.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Vous lire est un réel plaisir ! Je goute la marche depuis de nombreuses années, à mon rythme, avec parfois des bivouacs (mais sans tente !)… J’ai, avec le temps, remarqué que la créativité était beaucoup plus forte dans la marche, j’ai toujours mon carnet
avec moi pour de petites notes, de réflexions, même d’inventions d’histoires …
Souvent j’entre en méditation, les pensées s’envolent au vent, ne reste que mon souffle, et cette sensation de faire partie du « Tout » !!
Merci Marie 🙂
Bivouaquer c’est s’approprier un petit lieu et faire corps avec le sol et le ciel. S’allonger, regarder les étoiles, les nuages, respirer le vent et entendre le bruissement des feuilles et des branches dans les arbres. C’est aussi écouter la forêt dans ce qu’elle a de plus mystérieuse parfois … Et vous avez raison, avoir un carnet avec soi, c’est s’ouvrir à la créativité de texte induits par la marche … tout est alors possible dans ce type de création et c’est cela qui est beau. Puis se relire plus tard … et se rappeler de ce « Tout » dont on a fait partie, modestement humain dans ce grand univers d’autre chose …