Il pleut depuis deux jours. Des grosses gouttes qui s’infiltrent partout malgré mon équipement. Je suis trempé et l’arrêt d’autobus providentiel abritera mon changement de vêtements. J’improvise un léger casse-croute en regardant s’égoutter ma veste. Je suis au sec depuis quelques minutes, profitant de ce répits sous abri pour regarder sur la carte la suite du chemin.
Je vais emprunter le sentier à la sortie du village et entrer en forêt. La rue principale ne résonne que de mes pas et le seul commerce du bourg est fermé le lundi. Il me reste de quoi me faire à manger et au cas où, j’ai toujours deux repas déshydratés en réserve !
Quelques maisons encore et un long mur qui borde la rue. C’est un monastère. Je sonne … le religieux qui ouvre la porte n’est pas très aimable et me fait vite comprendre qu’ils n’accueillent pas. Je lui demande de l’eau, il me montre la fontaine de l’autre côté de la rue et me souhaite une bonne marche. La porte se referme. Clong !
Depuis que je marche j’ai appris l’école du non ! Celle qui te fais vite comprendre que tu n’es pas au bon endroit au bon moment … qu’il te faudra aller plus loin. Quelques discussions avec des curés de village m’apprennent qu’ils n’ont pas vocation d’hébergement, pèlerin ou pas. Qu’il y a toujours un risque… je comprends que mon accoutrement dégoulinant de pluie a eu l’effet inverse qu’escompté ! Et c’est aussi sans compter les rideaux qui se soulèvent, les portes de cours qui se ferment, etc.
D’où ma tente et mes gamelles !
Au bord de la forêt et loin du monastère, je me pose pour la soirée et la nuit. La tente dégouline encore de la pluie de la nuit précédente. Mes affaires humides à l’intérieur du sac à dos malgré les emballages plastiques ne sècheront pas cette nuit. Tente vite montée je m’installe comme je peux en prenant bien soin de ne pas mouiller la toile au sol. Mon bricolage de ficelle pour un semblant de corde à linge à l’intérieur me permet de suspendre quelques affaires.
Le gaz et la soupe réchauffe les deux intérieurs, de toile et de chair. Les raviolis et le riz au lait assureront la suite du repas. Un thé au lait et un cake aux fruits, quelques notes sur mon carnet, je réfléchis à ces moments où j’ose demander.
Pas facile de faire ce pas de quête, vers l’habitant derrière son muret ou le curé à la sortie de la messe, ses ouailles bâtant rapidement en retraite. Allongé dans mon sac de couchage, les deux mains croisés derrière la nuque, le floc floc de la pluie battant la mesure de ce début de nuit, je me demande ce que je ferais si j’avais été dans leurs cas ?
Cette école du non m’apprends le regard des autres, la peur de l’inconnu, l’interprétation que l’on peut faire de l’être qui passe… En ces années 90, début de mes longues marches, quand Compostelle et autres chemins n’étaient que l’apanage de quelques-uns, j’apprends à me faire dire non !
Alors je dors dehors, sous ma tente. Ou à la belle étoile.
Je me souviens alors des sourires de la dame de l’épicerie, du grand père et de sa grange de foin, des deux jeunes qui m’accompagnent à vélo vers la grange du père de l’un, de l’éclusier qui me propose un repas et un coin de pelouse, du curé qui me fait dormir dans sa sacristie, des bonnes sœurs du couvent qui me laissent planter ma tente à côté du carré de légumes, de Marguerite qui m’a raconté sa guerre de résistante tout en me faisant manger la meilleure soupe de légumes de ma vie de randonneur, du Jeannot qui ne voulut pas me laisser repartir car sa gnôle avait encore à me dire…
Je dors dehors aussi par choix des lieux, du temps, des imprévisibles du chemin et de ma solitude choisie. Pour écrire également. Comme je n’aime pas planifier mes temps de marche, je me fais confiance. Bivouaquer fait aussi partie de ma vie de marcheur et j’emmène toujours ma tente !
Et puis toutes les rencontres m’apprennent sur les autres … et sur moi !
Que je dorme dehors… ou pas !
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Lors de mon chemin en 2017, j’avais effectué Le Puy en Velay – Lourdes, via Conques/Toulouse, une variante en solo. Cette variante n’était pas connue à cette époque, cette peur de l’inconnu(e) s’est fait ressentir sur près de 200km, jusqu’à ce que je rejoigne la voie d’Arles. Très peu d’hébergements pour pèlerin, j’avais pu me réfugier deux fois dans une église, qui, par chance, étaient ouvertes.
Ultreïa
Chère Martine,
Il y a tant de chemins. Et ils mènent tous quelques part !
Merci de ce témoignage sur ces chemins de sens.