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Une ville la nuit

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Le refuge qui m’accueille est à quelques kilomètres des faubourgs d’une grande ville. Un repas frugal avalé et une bonne nuit de sommeil m’attendent. Je me suis couché tôt, la chaleur du jour ayant effectué son travail de sape sur mon corps fatigué. C’est sans compter sur les ronflements de mes voisins de chambrée et la symphonie fantastique des batraciens de la mare mitoyenne. Après quelques tentatives infructueuses d’ajustement de mes bouchons d’oreilles, il ne me reste qu’une solution, partir et aller dormir dehors. Quelque part.

La nuit m’attire et les sensations de mon pas sont bonnes. Frontale allumée, j’approche d’une grande avenue dont je devine, au loin, le serpent de réverbères éclairés. Une zone commerciale déserte, un chemin goudronné, un passage sous l’autoroute, j’entre alors dans les faubourgs monotones de la grande ville.

Marcher sur un trottoir de nuit c’est subir un dépaysement continu. Malgré les éclairages urbains, je fixe mon regard vers le sol pour éviter les pièges de l’asphalte, des bouches d’égout et des bordures déjointées. C’est aussi m’attendrir d’une plante en fleur poussant entre l’interstice des plaques de bitume.

Traverser une ville la nuit, c’est passer au pied des immeubles, lumières éteintes, habitants endormis, mon pas résonnant pour tenter d’en finir rapidement des rues pavées et des avenues silencieuses. C’est avoir son imaginaire qui fonctionne autrement que dans une forêt inconnue… et inventer une histoire au quidam endormi sur un banc, manteau bien refermé sous ses bras croisés. Qui est-il pour dormir dehors, sans caddie à pousser ni sac à porter ?

Déambuler ainsi au gré des rues piétonnes sans piétons c’est développer son odorat vers la boulangerie qui embaume le quartier et voir les mitrons, clope au bec, prendre une pause entre deux fournées. C’est déranger le chat, miaulant sa dulcinée blottie sur le rebord de la fenêtre du deuxième. C’est oublier rapidement le passage dans la ruelle sombre et retrouver avec un sourire les néons clignotants des vitrines.

Ceux et celles qui me voient passer sont les mannequins de cire du grand magasin, dont le rez-de-chaussée éclaire tout le carrefour. C’est sourire de voir un bonhomme éméché attendant patiemment de traverser la rue déserte de véhicules, fixant l’orange clignotant comme dans l’attente de l’hypothétique vert … qui ne viendra qu’au matin !

La ville se déploie au piéton, randonneur sac à dos. Bâton en main, martelant le sol, faisant échos à mes pas, m’imaginant veilleur de nuit, gardien du sommeil des autres, traquant du regard le moindre mouvement de la ville déserte. Solitaire passager de la nuit, sur des rues achalandées le jour, je marche au gré des ruelles, tentant de sortir du labyrinthe sans noms connus du centre-ville historique, sous le rire narquois des gargouilles de la cathédrale, se moquant bien, et depuis si longtemps, de ceux qui passent sous leurs regards hauts perchés.

Trois heures trente du matin, assis sur un banc de la piazza centrale, je me fais un café sur le bleuet chauffant mon breuvage, grignotant une tranche de cake, patient de la nuit sans sommeil, profitant du silence pour écrire quelques mots dans mon carnet de marche. Un véhicule s’approche, des policiers me demandent mes papiers. En quelques mots, ils repartent rassuré de mon état, brisant du même coup mon rêve de passager solitaire de la grande ville endormie.

Sac sur le dos, bâton en main, je longe l’avenue qui me sort de la ville, croisant quelques véhicules et un premier autobus de voyageurs matinaux. Les urbains se réveillent et s’agitent. Je n’ai plus envie de dormir non plus.

La ville est maintenant derrière moi, la campagne et le sentier peuvent alors me reprendre au son des cloches des vaches et des insectes saluant le lever du jour.

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