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Signature de marcheur

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Octobre 1993, soir de grisaille entre les Vosges et la Haute-Marne. Je suis parti marcher du Mont-Sainte-Odile (Alsace) à Vézelay (Yonne). Peu de rencontres. Mon bivouac est aléatoire. Et comme j’aime marcher au-delà des chemins balisés, je m’y suis fait.

Une clôture à vaches pour suspendre quelques affaires, une soupe sur mon bleuet, un morceau de pain et du fromage. Frugalité du dimanche soir en attente de ravitaillement tout aussi aléatoire du lundi, si les commerçants sont ouverts. Mon carnet de marche est blanc de peu de mots. Pas envie d’écrire quoique ce soit depuis mon départ. Je vis l’instant du pas, celui qui m’entraîne vers un lieu pointé sur une carte. Je traverse des villages gris, le ciel est gris, mais je souris de ce peu avec envie.

Ce soir, sous la tente, je me souviens de ce curé m’invitant au bistrot d’un bourg pour me réchauffer et boire un café. Nous parlons de marche et de la contemplation de l’horizon devant soi, que le marcheur repousse sans cesse. Il me fait un dernier signe et je le regarde s’éloigner, sa cape noire dans le vent.
Là, au-dessus de mon carnet, je fais le croquis de cet homme regardant vers le ciel.

Avril 1994, soir d’orage sous la tente alors que j’ai quitté Vézelay depuis plusieurs jours pour aller à Périgueux (Dordogne). Je vais bientôt passer la Loire du côté de la Charité. Les éclairs zèbrent le ciel et les arbres proches de mon bivouac ne me rassurent pas. A travers le rideau de pluie j’avise un abri pour chevaux… je retire prestement les sardines et je fais glisser ma tente, et tout ce qu’elle contient, aussi vite que possible et sous des trombes d’eau dans ce qui sera mon abri pour la nuit.

Tendant une corde pour faire sécher mes affaires, je regarde l’endroit au sec où les souris me feront sûrement de la place. Sur un coin de la mangeoire le bleuet réchauffe tranquillement des raviolis, je grignote une tranche de pain de seigle avec du saucisson de pays et il me reste du riz au lait pour compléter mon repas du soir.

Dans mon carnet, je termine quelques lignes sur mon chemin du jour dont le souvenir d’un couple et de leur grange où j’ai dormi hier. En partant, j’ai écrit quelques mots sur le carnet de poésies de la dame. Elle me fait alors remarquer que je devrais avoir un dessin comme signature, car lorsque je suis arrivé dans la rue, elle m’a vue regardant le ciel, le nez en l’air et cherchant mon chemin. L’idée de m’inviter pour dormir vient de cet instant-là.

Une rafale de vent fait voler les pages de mon carnet et me ramène, quelques mois plus tôt, au dessin maladroit que j’avais fait du curé. Je me vois aussi, ces dernières heures, avec mon poncho trempé de l’eau du ciel et cherchant du regard, l’endroit pour bivouaquer. Les mots font place à un croquis que je reprends plusieurs fois.

Un chemin en S. Un homme avec chapeau, sac, veste et bâton, un regard vers le ciel et une étoile. Celle du berger qui me rappelle mon enfance. Vénus guidera le marcheur dessiné.

Ma signature est née. Elle accompagne depuis, toutes mes lettres ou mots ici et là. Elle est présente dans mon premier livre Le Poids du Sac et fait partie de ma dédicace.

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