Je marche depuis plusieurs heures, venant d’Aoste en direction du col du Grand-Saint-Bernard. Il fait beau, j’admire le paysage des trente kilomètres de montée, tout en me retournant sur les milliers de kilomètres derrière moi.
La vue est magnifique et je me dis qu’après avoir franchi les Pyrénées je vais passer les Alpes. Entre 13 et 15 kilos sur le dos en fonction de la réserve d’eau, une tente, des gamelles, quelques bouts de cartes, mon bâton de bois, mon chapeau, je pose un pas devant l’autre serein de ma marche, de mes convictions et des décisions que je prends.
Au détour d’un sentier, un couple, assis sur un tronc d’arbre, casse la croûte. Quelques mots sur leur retraite récente, des sourires, des échanges sur le temps, quand lui me dit :
- Nous sommes partis du Grand-Saint-Bernard ce matin. C’est notre lieu de départ car nous allons à Rome, par la Via Francigena. Et vous ?
J’hésite à leur dire que je viens de Compostelle, que je suis passé par Rome puis Assise avant de remonter toute l’Italie du Nord, et que je vais traverser la Suisse et finir (?) en Alsace ! Bref, que j’ai déjà marché environ 4000 kilomètres…
Tout en me rendant compte, combien ces millions de pas tiennent en quelques phrases et noms de chemins !
Je réponds :
- Je marche depuis plusieurs mois sur différents chemins, depuis Compostelle, et j’arrive de Rome en étant passé par Assise…
- Oh, mais c’est merveilleux, me répond la dame
Lui consulte sa carte et sort son carnet de notes
- Et où dormez-vous, me demande-t-il ?
- J’ai ma tente, je dors là où j’en ressens l’envie et le besoin. Pas de planification. Chaque matin, je reprends le chemin et je le laisse me guider vers mon prochain lieu de pause.
- Moi, toutes mes étapes et réservations sont faites jusqu’à Rome. Regardez…
Et il me montre les prochains 1000 km, organisés étape par étape. Gîtes et hôtels réservés. Visites à faire. Horaire de départ journalier souhaité. Tout est remarquablement planifié.
En nous quittant, eux descendants, moi montant, je reprends mon rythme serein du pas de montagne, réfléchissant à nos modes de randonnées.
Je suis heureux de cette rencontre, mais je me pose la question des aléas, de la découverte d’un lieu qu’il leur faudra ignorer, car la réservation est devant eux, du temps imparti dans la journée pour contempler… pour prendre le temps de regarder, humer, respirer, échanger…
Je comprends aussi que la peur est légitime et que chacun, face à l’inconnu, préfère se protéger. La réservation et la planification en font partie. Le budget aussi, car il est indissociable de la réservation.
Sortir de sa zone de confort (!!!) par la marche n’est pas toujours évident.
Partir longuement, c’est prendre le chemin pour y aller, mais il y a de multiples façons de le réaliser. Et chacun d’entre nous le vit avec son organisation et ses raisons.
En montant ma tente dans la pente, pour un bivouac isolé, je souris en pensant à ce couple rencontré, et, quelle que soit l’organisation, ce sont nos pieds de longs randonneurs ou de pèlerins qui nous portent.
Car réservation ou pas, à la fin de la journée, il y a une vingtaine de kilomètres de fait et d’autres se profilent déjà au prochain matin.
Avec l’espoir d’arriver, en faisant un chemin qui nous construit de nous déconstruire.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Tes mots semblent glisser sur le papier, parfois à un rythme rapide, souligné par la ponctuation. A d autres moments, ils courent et sautent à travers des courtes phrases ; puis les mots se font forts et puissants et demandent un temps de pose pour s en laisser imprégné et faire les liens qui s’imposent.
En réalité, ton écriture ressemble à la marche et donne envie de partir.
Merci d Être.
Merci Catherine de ton commentaire qui arrive comme tes mots en plein cœur.
La marche me révèle et m’anime, pas seulement physiquement.
Je ne cherche pas trop le juste mot.
Je me laisse porter par mon ressenti du moment et la spontanéité de la plume sur le papier.
Un carnet de marche après l’autre se remplit.
A très bientôt.